Post by Doudou on Apr 30, 2005 15:22:50 GMT -5
Les cours particuliers s'érigent en "contre-modèle" de l'école
LE MONDE | 30.04.05
Aggravant les inégalités scolaires au détriment des élèves les plus démunis, le marché du soutien scolaire prospère. Il se nourrit de l'angoisse des parents, d'une compétition scolaire accrue et des défaillances de l'école. Dans un rapport réalisé pour le Haut Conseil de l'évaluation de l'école et évoqué par le quotidien Libération, dans son édition du 28 avril, le sociologue Dominique Glasman (Université de Savoie) montre comment les cours particuliers se sont érigés en "contre-modèle" du système scolaire, profitant de ses faiblesses.
Depuis dix ans, on assiste à "une expansion spectaculaire" des entreprises de soutien scolaire, constate l'auteur du rapport. Acadomia, Keepschool et Complétude, entre autres, voient leur clientèle et leurs résultats progresser. Cette croissance s'explique par l'instauration, durant les années 1990, de mesures fiscales qui permettent aux parents de bénéficier d'une réduction d'impôt de 50 % au titre des emplois familiaux.
Ce cadeau fiscal a fait sortir de l'ombre une partie des cours de soutien non déclarée et a favorisé l'émergence d'un véritable secteur économique. Jusqu'alors cantonné aux classes aisées, il s'est étendu aux classes moyennes. En revanche, les ménages les plus modestes qui ne sont pas imposables ne profitent pas de cet avantage, ce qui ne veut pas dire qu'ils ne recourent pas, eux aussi, aux cours particuliers.
Il n'existe pas d'étude quantifiant l'ampleur du soutien scolaire. Une enquête, menée entre 1989 et 1992 en Rhône-Alpes, faisait déjà état de 20 % à 25 % d'élèves suivant des cours particuliers durant l'année scolaire et de 36 % durant l'ensemble de leur scolarité.
Cette pratique n'est pas limitée à l'Hexagone. Dans certains pays asiatiques, elle prend des proportions énormes : au Japon ou en Corée du Sud, les élèves qui prennent des cours particuliers peuvent passer de quatre à six heures par semaine dans les officines spécialisées (contre une à deux heures, en France).
Ces investissements sont-ils pour autant efficaces ? Les études montrent un effet plutôt positif, même s'il n'est pas spectaculaire. L'enquête menée en Rhône-Alpes relevait "une petite amélioration" (de 1 à 2 points de plus) pour 36 % des élèves, "une nette amélioration" pour 22 % (de 3 à 4 points de plus), "une forte amélioration" (de 5 à 6 points en plus) pour 6 %. Soit de meilleurs résultats pour près des deux tiers des élèves.
Selon une enquête allemande, 122 élèves, "moyens-faibles" ou en difficulté, ont augmenté leurs notes par rapport à celle d'un groupe témoin qui ne prenait pas de cours particuliers. En Egypte, en revanche, deux études ont révélé que ces cours n'avaient pas d'effet sensible sur les résultats scolaires.
La demande en cours particuliers se nourrit d'un renforcement de la compétition scolaire. Avec la massification de l'école et de l'université, l'enjeu est désormais d'accéder "aux filières et aux classes les plus rentables" en termes de débouchés. "Plus l'école fonctionne comme un marché, mettant en concurrence des établissements impitoyablement classés sur une échelle hiérarchique, plus la tendance à user des cours particuliers s'impose" , écrit Dominique Glasman.
Face à cette compétition, les parents adoptent différentes postures. Les familles les plus aisées notamment mettent en oeuvre des "stratégies d'excellence" combinant cours particuliers dans les disciplines où l'on obtient déjà les meilleurs résultats, choix d'une langue vivante "classante" (l'allemand) et orientation dans la filière scientifique.
"FAIRE LA DIFFÉRENCE"
D'autres cherchent à conforter les résultats de leurs enfants pour leur permettre d'accéder à la filière de leur choix. C'est, souvent à l'approche "des passages les plus difficiles à négocier, ou les plus sélectifs" que les familles recourent au soutien scolaire. Il s'agit alors de s'entraîner à passer les épreuves, de mémoriser, d'acquérir des automatismes permettant d'aller vite.
En France, les entreprises de ce secteur s'érigent "en contre-modèle" , en "image inversée" de l'institution scolaire. "C'est ce qui fait leur succès" , commente Dominique Glasman. Elles abordent des thèmes que l'école ne traiterait pas ou pas assez et mettent en avant leurs avantages comparatifs : "réactivité" , là où l'école tarde à réagir ; "individualisation" avec une aide spécifique par opposition à un enseignement de masse ; "choix de l'enseignant" ; "garantie de résultats" et pas seulement obligation de moyens... Alors que l'institution scolaire se focalise sur l'enseignement des disciplines, les cours particuliers travailleraient davantage sur le "comment apprendre" . "L'exercice, l'entraînement, la répétition, l'acquisition d'automatismes qui libèrent l'esprit pour la réalisation de tâches complexes" sont une des constantes du soutien scolaire, relève l'étude.
La réussite repose sur l'acquisition de savoir-faire et de techniques qui sont trop peu abordés à l'école. "L'expérience montre que dans les moments décisifs, lors des concours et des examens, les aspects que l'on pourrait dire techniques peuvent permettre de faire la différence" , assure Dominique Glasman. Exemple : faire un devoir de mathématiques jusqu'au bout, dans un temps restreint, suppose l'acquisition d'automatismes.
"Où et quand l'école enseigne-t-elle ces savoirs et ces techniques qu'elle exige sans le dire et qui, de fait, sont indispensables pour venir à bout des épreuves qu'elle organise ?" , s'interroge le sociologue. Sans rien changer à l'ambition des programmes, Dominique Glasman propose de ménager, dans l'enceinte scolaire, des temps et des lieux pour acquérir ces techniques. Il préconise "que l'étude surveillée soit réactivée, que la salle de permanence soit organisée et pensée comme une salle d'étude avec un personnel disponible pour les élèves..."
C'est en se donnant ces moyens-là, poursuit-il, que l'école pourra apporter une réponse à l'essor des cours particuliers et armer les élèves pour qu'ils soient en mesure de faire ce qu'elle exige d'eux.
Martine Laronche
Article paru dans l'édition du 02.05.05
LE MONDE | 30.04.05
Aggravant les inégalités scolaires au détriment des élèves les plus démunis, le marché du soutien scolaire prospère. Il se nourrit de l'angoisse des parents, d'une compétition scolaire accrue et des défaillances de l'école. Dans un rapport réalisé pour le Haut Conseil de l'évaluation de l'école et évoqué par le quotidien Libération, dans son édition du 28 avril, le sociologue Dominique Glasman (Université de Savoie) montre comment les cours particuliers se sont érigés en "contre-modèle" du système scolaire, profitant de ses faiblesses.
Depuis dix ans, on assiste à "une expansion spectaculaire" des entreprises de soutien scolaire, constate l'auteur du rapport. Acadomia, Keepschool et Complétude, entre autres, voient leur clientèle et leurs résultats progresser. Cette croissance s'explique par l'instauration, durant les années 1990, de mesures fiscales qui permettent aux parents de bénéficier d'une réduction d'impôt de 50 % au titre des emplois familiaux.
Ce cadeau fiscal a fait sortir de l'ombre une partie des cours de soutien non déclarée et a favorisé l'émergence d'un véritable secteur économique. Jusqu'alors cantonné aux classes aisées, il s'est étendu aux classes moyennes. En revanche, les ménages les plus modestes qui ne sont pas imposables ne profitent pas de cet avantage, ce qui ne veut pas dire qu'ils ne recourent pas, eux aussi, aux cours particuliers.
Il n'existe pas d'étude quantifiant l'ampleur du soutien scolaire. Une enquête, menée entre 1989 et 1992 en Rhône-Alpes, faisait déjà état de 20 % à 25 % d'élèves suivant des cours particuliers durant l'année scolaire et de 36 % durant l'ensemble de leur scolarité.
Cette pratique n'est pas limitée à l'Hexagone. Dans certains pays asiatiques, elle prend des proportions énormes : au Japon ou en Corée du Sud, les élèves qui prennent des cours particuliers peuvent passer de quatre à six heures par semaine dans les officines spécialisées (contre une à deux heures, en France).
Ces investissements sont-ils pour autant efficaces ? Les études montrent un effet plutôt positif, même s'il n'est pas spectaculaire. L'enquête menée en Rhône-Alpes relevait "une petite amélioration" (de 1 à 2 points de plus) pour 36 % des élèves, "une nette amélioration" pour 22 % (de 3 à 4 points de plus), "une forte amélioration" (de 5 à 6 points en plus) pour 6 %. Soit de meilleurs résultats pour près des deux tiers des élèves.
Selon une enquête allemande, 122 élèves, "moyens-faibles" ou en difficulté, ont augmenté leurs notes par rapport à celle d'un groupe témoin qui ne prenait pas de cours particuliers. En Egypte, en revanche, deux études ont révélé que ces cours n'avaient pas d'effet sensible sur les résultats scolaires.
La demande en cours particuliers se nourrit d'un renforcement de la compétition scolaire. Avec la massification de l'école et de l'université, l'enjeu est désormais d'accéder "aux filières et aux classes les plus rentables" en termes de débouchés. "Plus l'école fonctionne comme un marché, mettant en concurrence des établissements impitoyablement classés sur une échelle hiérarchique, plus la tendance à user des cours particuliers s'impose" , écrit Dominique Glasman.
Face à cette compétition, les parents adoptent différentes postures. Les familles les plus aisées notamment mettent en oeuvre des "stratégies d'excellence" combinant cours particuliers dans les disciplines où l'on obtient déjà les meilleurs résultats, choix d'une langue vivante "classante" (l'allemand) et orientation dans la filière scientifique.
"FAIRE LA DIFFÉRENCE"
D'autres cherchent à conforter les résultats de leurs enfants pour leur permettre d'accéder à la filière de leur choix. C'est, souvent à l'approche "des passages les plus difficiles à négocier, ou les plus sélectifs" que les familles recourent au soutien scolaire. Il s'agit alors de s'entraîner à passer les épreuves, de mémoriser, d'acquérir des automatismes permettant d'aller vite.
En France, les entreprises de ce secteur s'érigent "en contre-modèle" , en "image inversée" de l'institution scolaire. "C'est ce qui fait leur succès" , commente Dominique Glasman. Elles abordent des thèmes que l'école ne traiterait pas ou pas assez et mettent en avant leurs avantages comparatifs : "réactivité" , là où l'école tarde à réagir ; "individualisation" avec une aide spécifique par opposition à un enseignement de masse ; "choix de l'enseignant" ; "garantie de résultats" et pas seulement obligation de moyens... Alors que l'institution scolaire se focalise sur l'enseignement des disciplines, les cours particuliers travailleraient davantage sur le "comment apprendre" . "L'exercice, l'entraînement, la répétition, l'acquisition d'automatismes qui libèrent l'esprit pour la réalisation de tâches complexes" sont une des constantes du soutien scolaire, relève l'étude.
La réussite repose sur l'acquisition de savoir-faire et de techniques qui sont trop peu abordés à l'école. "L'expérience montre que dans les moments décisifs, lors des concours et des examens, les aspects que l'on pourrait dire techniques peuvent permettre de faire la différence" , assure Dominique Glasman. Exemple : faire un devoir de mathématiques jusqu'au bout, dans un temps restreint, suppose l'acquisition d'automatismes.
"Où et quand l'école enseigne-t-elle ces savoirs et ces techniques qu'elle exige sans le dire et qui, de fait, sont indispensables pour venir à bout des épreuves qu'elle organise ?" , s'interroge le sociologue. Sans rien changer à l'ambition des programmes, Dominique Glasman propose de ménager, dans l'enceinte scolaire, des temps et des lieux pour acquérir ces techniques. Il préconise "que l'étude surveillée soit réactivée, que la salle de permanence soit organisée et pensée comme une salle d'étude avec un personnel disponible pour les élèves..."
C'est en se donnant ces moyens-là, poursuit-il, que l'école pourra apporter une réponse à l'essor des cours particuliers et armer les élèves pour qu'ils soient en mesure de faire ce qu'elle exige d'eux.
Martine Laronche
Article paru dans l'édition du 02.05.05